Un souffle épique (je me lance dans la poésie médiévale)
La complainte de Guenièvre
Lancelot s’élança, sauta de sa charrette
Guenièvre frissonnante leva vers lui la tête
Ah, mon beau chevalier, vous voilà, vous, enfin,
Lancelot l’enlaça, respira son parfum
Moment tant désiré, vertige délicieux,
O toi, ma chère belle, mon amour merveilleux,
Tu es, dans ces bas-fonds d’où enfin je surnage
De tant de rudes épreuves, le sublime message.
Je n’ai pas oublié ta dernière détresse,
Je n’ai pas essayé ma première caresse
Et je m’en viens vers toi, par des terres enivrées
De ton dernier soupir, de ton dernier baiser
Ton âme s’effarouche , emportée par les nues
Mais ne t’inquiète pas, tu n’es pas encore nue.
Cherche et tu trouveras le voile qui se lève
Sur mon corps délacé ou s’insinue la sève,
Monte au dernier sommet, échappe au dernier rêve
Allons, tu le sais bien, la vérité est brève.
Guenièvre tressaillit, fit son lit des feuillages
Et par cette nuit claire, connut bien des orages,
Voluptés recherchées, tendres mots murmurés
Enfin il était là, celui qu’elle espérait.
Après bien des émois, l’aube resplendissante
Lorsqu’elle surgit enfin, la trouva pantelante,
Guenièvre éblouie, endolorie et frêle.
Lancelot plein d’ardeur se tourna vers sa belle
Prêt à unir encore leurs destins flamboyants
Guenièvre défaillante, en proie au grand tourment
De ne pouvoir encore répondre à tant d’espoir
Préférant pour cela attendre un prochain soir
D’une main alanguie repoussa tendrement
Précautionneusement les assauts du galant.
Et se laissa glisser dans des nuées sans fond.
Lorsqu’elle se réveilla de ce sommeil de plomb
Elle sentit Lancelot sur l’herbe du jardin
Le regarda, ravie, et d’un élan soudain,
Folle de son bonheur, lui tendit les deux bras
Sans voir de celui-ci les yeux remplis d’effroi.
Quelle fut sa surprise quand, pour toute réponse,
Elle entendit ces mots à l’amer goût de ronce :
Vous vous moquez, Guenièvre, d’une frappe assassine
Vous foulâtes aux pieds, cruelle Messaline,
Mon honneur, mes transports et ma virilité
Sans frein de ce respect qu’on doit à ma fierté.
Vous me blessâtes, chère, et dédaignant du sort
L’aveugle Parque qui, à votre fil qu’elle tord
Avait au mien mêlé les barbes les plus nobles,
Vous me fîtes un affront, détestable et ignoble,
Vous narguez mon courroux, O Guenièvre insensée,
Sans craindre le sursaut du vieux lion blessé
Tremblez que de mon ire, vous n’encouriez les foudres
Et que de notre amour, il ne reste que poudre !
Guenièvre stupéfaite vit alors Lancelot
Monter sur sa charrette et partir au galop.
Elle se mit à pleurer, tordit ses blanches mains
Dans un grand désespoir, les posa sur son sein
Qui respirait à peine, ô Dieu, s’exclama-t-elle,
Est-il vraiment possible que d’emportements tels
Il ne retint hélas, que futile vétille
Et ne voit plus qu’en moi la dernière des filles.
Ses diérèses parfaites, ses rimes sans raison
Employées à défendre l’honneur d’une maison
Occupée de prouesses que j’ignorais peut-être
Sont bien insoutenables, légèreté de l’être,
(oui, j'ai bien dit : insoutenable légèreté de l'être)
Blessure injustifiée, affront petit, inique,
Car à tant de bonheur, j’avais trouvé réplique
Bien avant que de lui, ô mon amant chéri
Que j’ai tant attendri, à qui j’ai tant souri.
Et elle s’effondra en ravalant ses larmes.
C’est ainsi que Guenièvre fut vaincue par les armes
De son fier chevalier à l’honneur ombrageuse
Et qu’arrive à sa fin cette histoire fâcheuse.
Vous avez juste ouï, bonnes et douces dames,
La complainte de celle, qui comme tant de femmes,
N’a pas su estimer, occupation mesquine,
L’immense vanité de la gent masculine.
Quant à vous Messeigneurs, puisse cette aventure
Vous faire réfléchir, pour que dans le futur
Vous sachiez discerner faiblesse et impudence
Et ne confondiez pas passion et insolence...